c'est entre parenthèses dans un temps qui n'existe pas. Noir désir

Le matin le prof de philo a déliré tout seul sur les chimpanzés. Pendant deux heures.
Les cours en hypokhâgne ne sont jamais trop longs pourtant. Au mieux ils sont trop courts.
Au pire, et la philo c'est du pire, ils ressemblent au sommeil. Se laisser bercer par la voix du prof ininterrompue. Sentir les premiers rayons du soleil matinal me chauffer la colonne vertébrale. Lézard.
Noter, noter des citations trop longues, des hypothèses quant à l'utilisation d'outils par les singes (utilisent-ils vraiment des cannes à pêche pour attraper les fourmis?).
Décrocher un peu.
On est 54 dans la classe mais tous les cours se déroulent dans un silence impressionnant. J'échange rarement plus d'une phrase avec mon voisin en deux heures de cours.
Alors entre deux singes je rêve un peu. Oui ça ressemble au sommeil, c'est calme et sans surprise et si on fait pas de pause entre les deux heures c'est pas plus mal.

On est sorti 5 minutes en retard, parce qu'il fallait en finir avec les babouins, si bien que la queue pour le self s'étendait sur toute la longueur du couloir quand on est arrivé.
On (ce -on- c'est Al, on va l'appeler comme ça pour plus de commodités, aussi paumé que moi dans la classe et gothique de son état, et moi.) On a donc retrouvé son pote de l'autre classe de lettres sup, celui avec qui j'avais discuté dans le bus le jour de la rentrée. Il est drôle, extraverti, pas très fin et il a de longs cils.
Il était accompagné d'un autre mec de sa classe dont je ne connais pas le prénom et qui a l'air plutôt timide. J'ai réussi à obtenir de lui d'où il venait et combien d'heures de philo il avait l'an passé.

C'est étrange de trainer exclusivement avec des garçons quand on a pris l'habitude de trainer exclusivement avec des filles. Les conversations sur l'épilation me paraissent bien loin.

Mais la queue est passée très vite. Al et T. ont parlé guitare, Al m'a proposé d'aller chez le vendeur d'instruments de musique dès qu'on aura une heure de libre pour qu'il me montre comment faire les barrés; T. a expliqué qu'il compte apprendre l'intégralité des mélodies de Nirvana.

La conversation dévie très vite.

"Al - Cette année entre la prépa, les deux groupes dans lesquels je suis et les leçons de gratte que je vais donner à un gosse ça va être galère...
T. - Mais t'es overbooké! Quand est-ce que tu vas baiser hein?
[Tout le monde rigole, plus ou moins faux]
Moi - Hé T. on t'as pas dit? Entrer en prépa c'est faire voeu de chasteté.
[Rire encore]
T. -Trop pas. Je suis sûr que maintenant que t'es en prépa tu te dis "ouééé je vais me taper des mecs trop intelligents! Et en plus ils vont me jouer une serenade à la guitare sous ma fenêtre"
[idem]
M- Et ben bien sûr, j'allais te le dire. "

Je ne lui ai pas dit en revanche que le dessin que j'ai fait sur ma couverture d'agenda cet été, c'est un mec qui joue de la guitare sous le balcon d'une fille qui lui jette un pot de roses sur la tête.

Il y avait des haricots beurre à midi et on avait un petit quart d'heure seulement pour manger vu que je reprenais à 13h. De toute manière les garçons ça mange vite. Même ce qu'ils aiment pas.

"T- C'est dégueu ce truc en plus elle a mis plein de sauce avant ça avait presque l'air bon."
Et il a tout mangé.

Moi j'ai mangé mes carottes rapées, mon yahourt à toute vitesse, un peu de pomme et j'ai picoré quelques haricots dans mon assiette sans toucher à l'espèce de feuilleté dégoulinant de sauce.
On a parlé d'astérix et les normands, des mpsi qui sont complètement barges de vouloir faire de l'informatique et que oui il en faut des informaticiens mais là y va en avoir deux fois trop, et puis la conversation a de nouveau deviée mais je vous épargne la suite...
Alors j'ai gentiment fait remarquer qu'il était 13h et qu'on était censer être en latin là.
On a mis presque 10 minutes a trouver la salle. Il est terrible ce lycée.

L'heure de latin s'est écoulée dans le même état de 'relaxation', j'ai parlé à personne, de toute manière j'avais même pas remarqué que les filles a coté de moi étaient dans ma classe.

Après ça j'ai appris que vendredi aprem j'avais séché involontairement l'espagnol (2h).
On a un peu paniqué avec mec-aux-cheveux-blancs et une fille-aux-ongles-noirs. On a essayé de trouver la salle où la prof d'espagnol donnait un cours d'option, pour s'excuser, sauf qu'on a jamais trouvé la salle.
On a bien du errer 20 minutes à monter et descendre des escaliers, on est jamais tombé sur la C 204.
Alors on a dit tant pis et mec-aux-cheveux-blancs qui avait fini sa journée est parti et je suis restée avec la fille.

Il y a tellement de gens dans la classe que je ne traine avec eux que par hasard. Je ne me dis jamais "tiens je vais parler à cette personne là" puisque de toute manière j'arrive même pas à retenir les visages ou les noms.
Cet apres midi j'ai donc passé une heure et demi avec cette fille simplement parce qu'elle avait cherché la salle avec moi.
Je connaissais pas son prénom, elle non plus, mais ça ne nous a pas empêcher de parler d'école de ciné, de beaux arts, de permis, de bus et de chambre chez l'habitant.
J'ai un peu fait d'anglais à l'ombre du tilleuil, elle a lu Antigone, on est allé ensemble à la vie scolaire puis en latin (oui encore. J'en ai 3 à 4 heures le lundi aprem.)
On a retrouvé Al dans la cour qui nous a accompagné jusqu'à la salle même s'il avait pas cours, et qui m'a dit qu'il m'avait ajouter sur msn. J'ai dit oui j'ai vu, bon aprem et puis à demain hein.

On se dit à demain depuis le premier jour.
C'est important de savoir que le lendemain il y aura au moins une personne qui ne sera pas là par hasard.

Pendant cette dernière heure de latin j'ai regardé les secondes s'afficher sur sa montre. ça me fascine les montres digitales qui affichent les secondes qui défilent.
ça me fait peur.

Et puis ça a sonné. J'ai pris le bus et on allait si vite qu'on a rattrapé le soleil qui essayait de se cacher derrière les montagnes. Si vite qu'on a failli percuter une bagnole et que le chauffeur a freiné comme un fou.
J'ai eu l'impression que j'étais la seule à avoir eu peur. Les autres gardaient le même regard blasé.

Moi, je m'émerveille de tout.
Pour rien.