(Très belle photo dont j'ai malheureusement oublié la source)
Ce matin j'ai décidé de deviner mon horoscope.
Il était 8 heures, une fille lisait les journaux gratuits à qui voulait l'entendre, et moi je venais de me faire agresser par le type du bus, J.C "On mange ensemble à midi?"
J'ai dit oui comme je ne sais pas dire non, et j'ai passé les deux heures suivantes à me morfondre amèrement.
Mes deux amies s'amusaient bien, "t'as qu'à lui faire croire que t'as déjà un copain", "ou mieux une copine, comme ça t'es sûr qu'il te lâchera".
J'en ai aussi profité pour me plaindre du lendemain, où j'allais devoir me lever pour une petite demi heure de colle alors qu'on a pas cours du matin.
Donc, pour ces diverses raisons j'ai décidé que tous les sagittaires allaient passer une journée de merde.
10 h. Je ne sais plus pourquoi, j'étais en train d'hurler (enfin, de parler trop fort à mon habitude) "Aaaah putaain j'ai mangé une crèèpe!"
Là, absence de réaction chez les autres.
Je me retourne, la prof d'histoire me fait un grand sourire.
Argh.
Mais, ô miracle, elle me propose de déplacer la colle. "Moi j'arriverai à rentrer, mais vous, s'il y a un blocage, et ça va être le cas avec la grève, vous ne passerez pas".
Parfait parfait, tout ce que vous voulez. Tout, absolument tout, je saute de la passerelle quand vous voulez même.
Deuxième miracle de la journée: on deale avec elle. Une semaine de plus pour faire le DM, une semaine de plus pour qu'elle corrige nos DS. Tope là.
C'était à se demander qui était le plus soulagé, les élèves totalement euphoriques à la perspective de ne pas passer un week end avec Clovis et ses amis, ou la prof qui -je cite- "se sentait revivre".
On est tous des maso.
12 h. Troisième miracle de la journée: Al. ne va pas à la prépa science po, je ne serais pas obligée de manger en tête à tête avec J. C.
12h 30. On commence à manger tous les trois quand j'entends un "bonjooour" derrière moi.
La personne que je voulais connaitre pose son plateau à coté de moi.
Suivent trois autres garçons de la classe.
On se retrouve tout d'un coup à 7. Beaucoup plus sympa qu'à 2, n'en déplaise à J.C.
Il se lève pour aller chercher de l'eau.
L'immense avantage quand on ne mange qu'avec des garçons, c'est que, l'espace d'un repas, on devient le centre du monde. Enfin, pas tout à fait, mais un peu quand même.
Je sers à boire, j'en renverse même pas partout. "C'est ma tournée".
Je picore du pain, Al. noit son steak sous un lac de moutarde, J.C fait très fort, il arrive à se tacher avec sa viande puis avec son yahourt.
J'ai fait la très gentille- t'inquiète pas ça part, et puis ça arrive à tout le monde- mais dans le fond, j'avais envie de le planter là avec sa tâche de yahourt sur son sweat orange.
La conversation dévie inévitablement. On peut difficilement mettre mes deux "frères" (filleuls de ma marraine, Al et Ulysse) à la même table sans que ça dégénère.
"Les femmes portaient-elles des sous-vêtements à la cour de Louis XIV?"
"La cour assistait-elle vraiment à la nuit de noce du roi?"
C'est un peu gore mais amusant.
Je n'arrête pas de resservir à boire. On rigole. Il est à coté et il rit.
Et puis les idéaux reprennent le dessus.
Il considère l'assiette pleine à laquelle je n'ai pas touché.
"Tu vas jeter tout ça?"
Je le provoque du bout des lèvres, comme si j'avais de la peine pour le steak "Ouais, t'as vu?"
Il ne dit rien.
On perd les autres de vue en sortant du self. Al. se lance dans une explication des apparitions du visage de Jésus. Je demande à J.C ce qu'il a l'intention de faire.
"Comme tu veux".
Bon. On monte au cdi (pour changer). Sur les fauteuils il y a déjà U. et la personne que je voudrais connaitre. Tout le monde sort du travail, on rigole un peu avec U. sur le nom du prof de géo. Il a des tâches de rousseur qui le rendent inévitablement sympathique.
13h45. Je fais la bise à J.C, lui souhaite bonne chance pour son ds de maths. Ou de physique. A moins que ce soit de la chimie, je sais plus. Je fais comme si tout c'était passé comme il l'attendait. Je monte pour mon propre ds, géo. Une fille -celle qui milite pour la décroissance- de l'autre hypokhâgne me souhaite bonne chance en passant. Ou alors j'ai des hallucinations auditives.
C'est possible.
14h. Le tourisme dans le bassin méditerranéen. Il fait chaud, j'ai mal à la tête, le temps s'écoule à une lenteur pas possible. Je devine la présence de la personne que je voudrais connaitre deux places derrière. J'ai envie de dormir. A coté de moi la fille gentille -elle est juste devant lui- ne cesse de soulever sa masse de cheveux blonds.
Un million de croisages-décroisages de jambes plus tard, je m'échappe.
18h. Il y a encore du soleil dehors.
19h. Je fais ma version d'espagnol qui me parait trop simple pour être vraie.
22h10. Je raconte ma vie sur mon blog.
J'avais envie de le rendre jaloux. De lui dire, tu vois, ce type en prépa physique chimie me mange dans la main, tu vois je suis entourée de garçons, tu vois, tu vois, allez arrête de regarder mon assiette, je sais bien que c'est pas bien, je sais bien que je mange pas, allez regarde, tu vois je suis là j'existe, et on me parle, et on m'écoute, et on me regarde.
Alors regarde, regarde, je porte du rouge pour que tu ne me perdes jamais de vue, regarde moi, je dis n'importe quoi, les nuits de noce, les règles et les accouchements, n'importe quoi, pour que tu me remarques. Allez, tu es jaloux, un peu, rien qu'un peu, dis le, sois le.
Montre moi que tu tiens un peu à moi, et que tu ne veux pas me voir dans leurs griffes.
C'est marrant. Le dernier paragraphe pourrait presque être destiné à quelqu'un d'autre.
C'est toujours l'acte III.
à 22:12