c'est entre parenthèses dans un temps qui n'existe pas. Noir désir

J'aime arriver en retard à la moitié de nos cours avec eux. Se retrouver tout au fond ou tout devant.
J'aime être plus petite qu'eux.
J'aime la manière qu'ils ont de m'attendre quand on sort de cours, parce que je suis lente pour ranger mes affaires et nouer mon keffieh autour de ma gorge.
J'aime gâcher une demi heure à la fnac avec eux, alors qu'on a tellement de boulot. Je connais le rayon métal, death metal, rock, hard, par coeur.

J'aime manger avec lui, Al., parler Obama et Palin, discuter dans le plus grand sérieux de Le Pen et des populistes. J'aime quand on s'incruste auprès des khâgnes, qu'on traine avec cette fille qui a deux ans de plus et qui est sa "marraine". Elle a toujours des rêves trop marrants à raconter, à base de sous vetêments et de prof de latin qui font "ainsi font font font les petites marionnettes". Les autres khâgnes classiques sont sympas aussi. D. imite le prof de philo et à chaque fois que je suis tout près de lui dans la queue du self il y a l'odeur de son sweat, j'aime, et ses mêches blondes qui lui tombent sur les yeux. Il est si grand lui aussi.
J'aime lever la tête pour parler aux gens.

J'aime les deux heures du lundi aprem passée avec elle, J., dans la petite salle de travail réservée aux littéraires. Il y gèle mais on y fait ce qu'on veut.
Les khâgnes sont toujours là, j'apprends mon espagnol, J. dessine ou écrit des scénarios de film dans son cahier noir, et les khâgnes font des versions d'anglais et passent leur temps à se dire qu'ils faut qu'ils bossent même si, là encore, l'imitation du prof de philo est au programme.
"-Comment t'écrit "Lallande"?
-Avec deux 'l'
- où?
- Au milieu, t'es con, sinon ça ferait llalande. Remarque prononcé à l'espagnol c'est pas mal non plus. J'imagine bien le prof de philo en train de dire ça."

J'aime quand lui et elle m'invitent à des concerts de metal. J'aime quand il veut nous emmener dans le plus vieux bar de la ville. J'aime quand on parle à ses potes. J'aime comme on critique la dame de la cantine qui n'a rien d'autre à faire que distribuer des kiri. J'aime quand il m'apprend des mots en grecs et qu'il me fait rire en feuilletant son lexique.
"-Le mot du jour: sideros: fer. Eeeeeeet c'est de là que vient sidérurgie! Putain j'avais jamais compris!"
J'aime quand elle nous donne des bonbons pendant la vidéo-conférence, juste à lui et à moi.

J'aime cette manière qu'on a de rester toujours 5 minutes minimum devant la grande porte du lycée après les cours. On regarde les autres fumer et ils racontent les films d'horreur qu'ils connaissent. Parfois on ne dit rien. Mais on reste un peu quand même.
Moi j'en connais aucun de film d'horreur.
Mais je m'en fous. C'est la différence qui enrichit.
Oui, j'aime jusqu'à cette façon que j'ai d'être le vilain petit canard avec eux, d'être inculte en plein de choses, de poser des questions, de les faire rire avec mon coté gamine.

La prof d'histoire quand elle rayait les noms sur la liste cet apres midi, au fur et à mesure que les élèves arrivaient, nous a appellé "le trio".
On était les trois seuls qui n'avaient pas trouvé leur bonheur dans la liste des titres qu'elle nous avait proposé quelques jours avant. Mais elle nous aime bien.
Alors on a un traitement de faveur et des livres choisis spécialement pour nous.

Oui je les aime bien ces deux là.

Sauf quand ils m'entrainent un peu trop à l'écart alors que je voudrais rester avec les autres, être un mouton dans la masse, parce que dans la masse il y a cette personne que je veux tant connaître et qui, très, très, trop lentement, commence à se dévoiler.